Aller au contenu principal

Journée Internationale du Sport Féminin | Rencontre avec Caroline Nicol… Zoom sur ses travaux sur l’influence du genre sur la récupération des coureurs, après une course d’endurance de 20 km avec dénivelé

Journée internationale sport féminin 2022_Carnot STAR

Caroline Nicol

À l’occasion de la Journée Internationale du sport féminin[1], rencontre avec Caroline Nicol, Maître de Conférences Aix-Marseille Université à l’Institut des Sciences du Mouvement (ISM). Dans cet article, elle revient sur ses travaux de recherche menés sur l’influence du genre sur la récupération neuro-musculaire de coureurs, lors de la Course à pied Marseille-Cassis. Caroline étudie le fonctionnement musculo-tendineux en locomotion ainsi que les ajustements neuro-musculaires à la fatigue immédiate et retardée (lors des courbatures), engendrés par la course à pied.

Caroline, comment et pourquoi est né ce projet de recherche ?

En 2019, à l’occasion des 80 ans du CNRS et des 40 ans de la Course Marseille-Cassis, je suis sollicitée -entre autres-, par Patrick Sainton, (aujourd’hui ingénieur d’études CNRS à l’ISM et un de mes anciens étudiants) pour faire de cette nouvelle édition de la Course un terrain de recherche…

Le Marseille-Cassis, c’est près de 20 000 coureurs, dont 33% de femmes (chiffres 2019) ! C’est aussi et surtout 20 km de course avec un dénivelé positif et négatif de 300 m, ce qui ajoute une fatigue conséquente tant immédiatement après la course que dans les jours qui suivent celle-ci. La fatigue retardée provient notamment des micro-lésions musculaires dont la régénérescence est associée à un phénomène inflammatoire et à des sensations de courbatures dont le pic se produit un à deux jours plus tard.

Je m’intéresse depuis plusieurs années à ce phénomène inflammatoire et à ses conséquences sur l’activation musculaire. Il est en effet associé à des inhibitions des muscles pour les laisser récupérer ; inhibitions qui commencent avant les sensations de courbatures mais qui perdurent après que celles-ci aient disparu. Durant cette phase retardée de récupération musculaire, les performances baissent et les personnes en ont bien conscience au regard des sensations de courbatures musculaires qui leur sont associées. Arrive ensuite le risque de blessure, quand les douleurs disparaissent alors que les niveaux initiaux de force, vitesse et de puissance ne sont pas encore récupérés.

En 2019, 99% de la littérature existante portait sur la récupération fonctionnelle des hommes. Seulement 6 papiers avaient été publiés sur celle des femmes, majoritairement des recherches qui ne prenaient pas en compte la phase retardée de la récupération musculaire. Nous décidons donc d’étudier l’influence du genre sur la cinétique de récupération fonctionnelle chez des coureurs amateurs, après une course de 20 km avec dénivelé.

Soutenus par la dynamique collective incroyable autour de cette course, nous obtenons une bourse de thèse dans le cadre du « GDR Sport & activité physique » du CNRS, avec le recrutement de Robin Macchi, doctorant pendant 3 ans sur le projet et co-encadré par Fabrice Vercruyssen (IAPS, université de Toulon), et le recrutement de Yoko Kunimasa, post-doctorante sur 16 mois et spécialiste de l’évaluation par échographie du muscle, grâce au soutien financier de l’Institut Carnot STAR.

En quoi a consisté l’étude et comment avez-vous procédé ?

Nous avons donc souhaité étudier les différences de fatigue et de récupération en fonction du genre sur des coureurs récréatifs, à la suite de la Course Marseille-Cassis, afin de mieux comprendre et orienter ces personnes sur leur récupération.

En 2019, 18 coureurs récréatifs, dont 10 femmes et 8 hommes ayant des performances de course à pied similaires ont participé à la première étude. Le protocole de tests comprenait alors 5 séances : une semaine avant la course (référence) ; juste après la course (150 m après l’arrivée de Marseille-Cassis) ; un test à +2 h ; puis 2 et 4 jours plus tard (J+2 et J+4).

La quasi-totalité des tests se sont déroulés au TechnoSport (plateforme AMU), plateforme qui dispose de moyens humains et technologiques pour l’étude de la performance sportive. Chaque session comprenait des contractions volontaires isométriques (statiques) maximales des extenseurs du genou, un squat jump et un drop jump. Les douleurs musculaires retardées (courbatures) ont été évaluées pour les groupes musculaires de la cuisse (quadriceps et ischio-jambiers) et du mollet (triceps sural). Les sessions J+2 et J+4 comprenaient également un test force-vitesse horizontal (grâce à un ergomètre développé sur la plateforme comme illustré sur les images ci-dessous) lors duquel était enregistré l’activité électromyographique de 8 muscles du membre inférieur. Pour chaque test, un ensemble de variables clés a été calculé pour caractériser la récupération fonctionnelle.

Tests protocole Caroline Nicol

Comparaison de l’évolution des performances de saut et de de l’évolution de la production de force, vitesse et puissance maximales           

Une seconde étude réalisée cette année a consisté à analyser la relation entre le suivi de la récupération fonctionnelle et celui de la récupération structurale, via des techniques d’imagerie non-invasives (IRM/échographie). Ces techniques d’imagerie permettent d’évaluer l’étendue, la localisation et le profil de récupération de l’inflammation musculaire. Les marqueurs sanguins habituellement utilisés ne reflètent ni la quantité, ni la sévérité ni le bon délai des dommages musculaires. Ces travaux sont réalisés en collaboration avec le Centre de Résonance Magnétique, Biologique et Médical (CRMBM).

Les tests ont été réalisés sur un groupe de 13 hommes et 14 femmes inscrits à la course Marseille-Cassis, dont 4 hommes et 4 femmes ont participé aux tests d’imagerie. Le suivi de la récupération fonctionnelle incluait l’enregistrement de l’activité de 10 muscles des membres inférieurs lors de tests à intensité maximale et sous-maximale afin d’étudier l’influence du genre sur les patrons d’activation et les compensations intermusculaires. L’analyse des ajustements du patron de course et de l’activation musculaire a porté sur les données enregistrées sur un tapis roulant à une vitesse sous-maximale durant 3 conditions : à normo-poids (100% de poids de corps), en allègement (60% de poids de corps) et au retour à normopoids.

Quels résultats avez-vous obtenu ?

Les premiers résultats portant sur la course de 2019[2] montrent des différences hommes/femmes au niveau des muscles courbaturés, de moindres pertes fonctionnelles et une récupération plus précoce des femmes sur certains tests à la suite d’une épreuve d’endurance comme la Course Marseille-Cassis. Nous avons aussi retrouvé une influence du genre sur les patrons d’activation musculaire lesquels variaient différemment au cours de la récupération. Les données de cette année devraient nous permettre d’affiner le choix de tests et de mesures pour évaluer les déficits. Les moindres déficits fonctionnels des femmes proviennent-il d’une structure musculaire moins endommagée ? D’une régénérescence musculaire plus rapide ? On sait déjà que les œstrogènes des femmes sont susceptibles de contribuer aux deux mais comme le souligne la récente revue à laquelle nous venons de participer, tout reste à faire dans ce domaine.

Cette année, la question centrale consistera à essayer de vérifier (toujours par imagerie), suite à ce type de course, la réalité de l’ampleur et du décours temporel des microlésions musculaires et des conséquences fonctionnelles. Quoiqu’il en soit et indépendamment du genre, les déficits fonctionnels perdurant alors que les sensations de courbatures ont disparu, il convient de souligner que cette phase post-courbatures met en danger les articulations car celles-ci restent moins bien tenues du fait de l’inhibition musculaire.

Sur le plan scientifique et en termes de communication, 2 articles dont une revue sur les différences hommes/femmes en course d’endurance ont été publiés[2]. De plus, un article sur les synergies musculaires est soumis et nous avons aussi participé à trois conférences internationales sur le sujet.  Par la suite, nous souhaitons proposer aux coureurs des conseils entre-autres via une application mobile car en termes de sport-santé, il y a des messages forts à faire passer, spécifiques au genre. On observe également des retombées sur le plan socio-économique, grâce aux liens noués avec les fédérations sportives (athlétisme, sports collectifs), les clubs de sport/organisateurs de courses à pied, les médecins et kinésithérapeutes du sport, et des retombées industrielles potentielles à moyen terme pour, par exemple, les constructeurs d’appareils d’échographie portable ou encore les développeurs d’applications.

À titre plus personnel, ce projet, c’est une très belle synergie de structures, je m’y régale et j’ai la chance d’être au milieu de tout cela ! C’est un projet qui a profité du dynamisme incroyable de femmes et d’hommes, sans oublier le partenariat très important avec la SCO Ste Marguerite, organisatrice de la course Marseille Cassis et proposant des conseils d’experts sur son site et au Village Expo.

Pour conclure, Caroline, en ce début d’année plein de bonnes résolutions, un conseil pour celles (et ceux !) qui souhaitent se lancer dans la course à pied ?

Dans ces périodes où nous sommes plus que sédentaires, ma 1ère recommandation, c’est allez-y, lancez-vous, bougez ! Si vous démarrez une activité physique par la course à pied, le message important à garder en tête pour ne pas se blesser, c’est que les courbatures sont une bonne chose, jouant le rôle d’un « warning » envoyé par notre corps, mais qui disparaît trop tôt. Le corps a besoin de temps pour récupérer, il faut donc être vigilant le jour où les courbatures disparaissent, respecter la notion de progressivité dans l’effort et le temps de récupération nécessaire pour retrouver ses pleines capacités et éviter au maximum le risque de blessures. Quand on commence la course à pied, les jours qui suivent l’exercice, attention aux étirements, massages profonds et anti-inflammatoires, qui vont venir masquer temporairement la douleur, et donc vous donner la sensation que vous aurez récupéré plus rapidement. Ensuite, progressivement, refaites de l’exercice, car plus vous en faites, et moins vous aurez mal !

🏃‍♀️ - 🏃‍♀️ - 🏃‍♀️ - 🏃‍♀️ 

 

[1]La Journée Internationale du sport féminin

Sport féminin istock

Cette journée, célébrée le 24 janvier, vise à promouvoir la pratique sportive féminine et ancrer le sport féminin dans les usages, autour de 4 principaux axes : le développement de la pratique féminine du sport ; la présence des femmes dans les instances dirigeantes sportives ; l’économie du sport féminin ; la médiatisation du sport féminin.

Cette opération est soutenue par le ministère des Sports, le secrétariat d’Etat chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes, le Comité National Olympique et Sportif Français, le Comité Paralympique et l’association Femix Sports

 

[2]Publications 

  • Macchi R, Vercruyssen F, Hays A, Aubert G, Exubis G, Chavet P, Goubert E, Souron R, Kunimasa Y, Nicol C (2021) Sex influence on the functional recovery pattern after a graded running race: original analysis to identify the recovery profiles. Front. Physiol. 12: 649396. doi: 10.3389/fphys.2021.649396.
  • Besson T, Macchi R, Rossi J, Morio C, Kunimasa Y, Nicol C, Vercruyssen F, Millet G (sous presse) Sex differences in endurance running. Sports Medicine.
  • Macchi R., Santuz A., Hays A., Vercruyssen F., Arampatzis A., Bar-Hen A., Nicol C. (soumis) Sex influence on muscle synergies in a ballistic force-velocity test during the delayed recovery phase after a 20 km graded endurance run